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La Vie est un Songe

© Antonia Bozzi

Texte de Pedro Calderón de la Barca – Texte français de Céline Zins – Mise en scène Clément Poirée – Théâtre de la Tempête/Cartoucherie de Vincennes.

Auteur de plus de deux cents textes dramatiques de différentes factures – auto sacramental, comédie, pièce lyrique, drame historique – La Vie est un Songe est une des pièces les plus connues de Pedro Calderón de la Barca, grand maître du baroque espagnol, avec Cervantès et Lope de Vega. Porteuse du symbole universel du destin tragique de l’homme à travers son héros, Sigismond, la pièce date de 1635. Jerzy Grotowski avait ressorti de l’ombre le nom de Calderón avec le Prince constant, pièce écrite en 1929 qu’il avait mise en scène en 1965, et qui devint emblématique de ses théories sur l’acteur, dans le dialogue engagé avec Ryszard Cieslak.

Il y a beaucoup d’imagination et d’esprit dans La Vie est un Songe. Les intrigues se nouent et se dénouent, le balancier de l’illusion et de la réalité et les jeux de rôles en sont les ingrédients. Nous sommes en Pologne – une Pologne de fiction – proche d’un château inventé de toutes pièces. L’action se déroule en trois journées : A sa naissance, il est dit que Sigismond détrônerait son père, le roi Basile, et se comporterait en tyran. Fort de cette présomption, le roi enferme son fils dans une forteresse. Quelques années plus tard, pour vérifier le bien-fondé de la prédiction, il le fait transporter au Palais sous forte dose de somnifères, lui redonne son rang et le met à l’épreuve. Sigismond se réveille dans un lit princier au son d’un orchestre et avec force serviteurs intronisés par un majordome, caricatural et ridicule. Mais, comme le veut l’histoire, il abuse de son pouvoir, tue et viole. On le remet en prison tandis que le roi désigne son successeur, Astolphe. Quand les somnifères ont cessé d’agir, le prisonnier raconte à Clothalde, son geôlier, ce qu’il croit avoir vécu en rêve. Et quand le peuple découvre que l’héritier de la couronne est emprisonné et privé de ses droits, il le fait libérer. Dans la joute qui oppose Sigismond à son père, le roi est vaincu, mais ne s’enfuit pas. Et soudain la situation s’inverse, la réconciliation entre le père et le fils fait basculer la pièce, avec la volonté, pour Sigismond, de briser le tabou de sa naissance.

Parallèlement au déroulé de l’histoire se brodent des intrigues amoureuses comme autant de digressions : Rosaura voudrait reconquérir son bien-aimé, Astolphe, le potentiel successeur au trône qui se dit prêt à épouser sa cousine, Etoile. Elle rencontre Sigismond, et tous deux allient leurs malheurs. Mais quand elle est arrêtée par Clothalde, personnage plutôt rude, il découvre que c’est de sa propre fille qu’il s’agit, fait marche arrière et ne dit mot de leur lien familial. On épargne la vie de Rosaura et on la nomme dame d’honneur d’Etoile, qui épouse Sigismond, tandis qu’elle, épouse Astolphe, qui l’avait auparavant trahie. Le bon ordre – voulu par Dieu – est restauré au Royaume de Pologne et la morale est sauve. Ainsi l’écheveau de la vie où s’entremêlent cauchemars et rêves essaie de se dénouer, et le spectateur tente d’en suivre les épisodes.

Clément Poirée, nouveau directeur du Théâtre de la Tempête depuis début 2017, s’attaque à un monument du Siècle d’or espagnol. Il utilise le plateau dans toute sa profondeur et le transforme en territoire shakespearien, construisant une passerelle pour prolonger l’espace scénique jusque dans la salle. Il joue avec le propos de l’apparence et de l’illusion, du jeu dans le jeu, la scénographie d’Erwan Creff et les lumières de Kevin Briard le servent avec talent. Des néons dessinent des ogives et d’épaisses toiles brunes font office de reliefs ou de tentures dans le royal château. Du côté des acteurs on trouve des disparités mais chacun joue sa partition baroque avec l’énergie qui sert l’histoire – parfois confuse – et son personnage. La pièce maîtresse repose sur le choix de l’acteur qui interprète avec agilité le rôle de Sigismond, Makita Samba, et qui inscrit d’emblée sa différence – il est d’origine sénégalaise -. Le choix du metteur en scène est juste, il incarne le rejet et la force du mal aux pulsions non maitrisées dans la première partie de la pièce, avant de s’inscrire dans le rachat final. « S’il est vrai que je rêve, suspendez ma mémoire.. » dit Sigismond, écartelé ; John Arnold, Basile est un père vociférant et hâbleur dont le côté excessif prête à sourire ; Pierre Duprat un Astolphe dandy ; Thibaut Corrion est Clairon, valet de Rosaura et Laurent Ménoret, Clothalde le geôlier et père de Rosaura, tous deux remplissent leurs rôles de petits soldats. Le traitement des femmes est assez discutable, Morgane Nairaud en Rosaura s’en sort bien au début de la pièce quand elle est travestie en homme et rencontre sans le savoir, son père, on la perd ensuite dans la littérature caldéronienne et Louise Coldefy, dans le rôle d’Étoile, s’hystérise comme une poupée barbie, sans doute est-ce là le choix du metteur en scène.

Quoiqu’il en soit la machine fonctionne, avec ses faces cachées et ses labyrinthes, avec ses sentiments contradictoires qui dessinent l’étrange destinée de Sigismond dans son passage à l’âge adulte. La pièce débute avec des militaires marchant dans la neige – on est en Pologne -. Le passage d’un avion en rase motte donne le signal de la déconstruction de cette cruelle machination politique. Sur fond d’orage et d’éclairs, comme une fin du monde, le plateau tout à coup s’embrase et vire au rouge, et la couronne s’envole. On est dans le démesure et le féérique avec une théâtralité qui place acteurs comme spectateurs entre rêve et réalité.

Brigitte Rémer, le 28 septembre 2017

Avec : John Arnold, Basile – Louise Coldefy, Étoile – Thibaut Corrion, Clairon – Pierre Duprat, Astolphe – Laurent Ménoret, Clothalde – Morgane Nairaud, Rosaura – Makita Samba, Sigismond – Henri de Vasselot, Le Musicien. Scénographie, Erwan Creff – lumières, Kevin Briard assisté de Laurent Cupif – costumes, Hanna Sjödin assistée de Camille Lamy – musiques et son, Stéphanie Gibert assistée de Michaël Bennoun – maquillages et coiffures, Pauline Bry – collaboration artistique, Margaux Eskenazi – régie générale, Farid Laroussi – habillage, Emilie Lechevalier. Le texte est publié par Gallimard-Le Manteau d’Arlequin.

Théâtre de la Tempête/Cartoucherie de Vincennes. Route du Champ-de-Manœuvre. 75012 Paris – www.la-tempete.fr Tél. 01 43 28 36 36. Accès métro ligne 1 jusqu’au terminus Château de Vincennes (sortie 6) puis bus 112 ou navette Cartoucherie.